Organisé par l’Agence d’urbanisme de Rouen, le séminaire des Directeurs de la FNAU a été consacré à la question du risque et de sa gestion. Durant trois jours, rencontres et débats se sont succédés pour appréhender ce sujet aux multiples faisceaux.
Longtemps relégué en tant que simple aléa, le risque est devenu, ces dernières années, un enjeu majeur de l’aménagement du territoire. Rouen et ses environs sont bien placés pour en parler. Ici, la perception du danger s’est soudainement matérialisée une nuit de septembre 2019, alors que l’usine de Lubrizol/Normandie logistique s’embrasait. À la suite à cet accident, la métropole de Rouen a décidé de nommer un chargé de la culture du risque. Hassan El Machkouri qui occupe ce poste était justement l’un des premiers invités du séminaire annuel des Directeurs de la FNAU qui s’est déroulé du 7 au 9 juin derniers. Devant une cinquantaine de participants, il est venu discuter de la façon de passer de la « gestion du risque » à la « culture du risque ».
« L’incendie de Lubrizol a mis en évidence le manque de “culture du risque” sur le territoire, à tous les échelons », a-t-il ainsi souligné. Selon lui, la gestion de la vulnérabilité du territoire requiert une meilleure organisation individuelle et collective. Elle demande également une communication efficace afin que les habitants aient conscience des risques de leur territoire.
La perception du risque
Un peu plus tôt dans la matinée, Patrick Peretti-Watel, sociologue à l’INSERM, détaillait justement la notion de conscience. Dans sa conférence intitulée « Quelle perception des risques », il insistait sur les biais cognitifs qui poussent naturellement les êtres humains à sous-estimer les dangers latents. « Les risques font l’objet de représentations, plutôt que de perceptions ». Subjectifs, ils sont construits à partir de l’expérience de chacun et vécus à partir du présent. « Ils portent la marque de ceux qui les fabriquent : leur milieu social, leur culture, leur histoire… ».
Ce relativisme rend l’exercice difficile de sensibilisation aux risques. Les messages anxiogènes n’ont pas toujours la portée escomptée, car alors, ceux à qui ils sont adressés sont enclins « à modifier leur croyance plutôt que leur perception réelle. Avec ces messages, nous invitons surtout les gens à adopter une stratégie défensive qui peut mettre en échec la gestion d’un risque », expliquait encore le sociologue qui plaide plutôt pour la mise en place de recommandations concrètes.
Dans l’après-midi, Patrice Vergriete, Maire de Dunkerque et Président de la FNAU, fournissait d’ailleurs un exemple édifiant du biais de perception. Invité pour s’exprimer avec Nicolas Mayer-Rossignol, Maire de Rouen et Président de la Métropole, sur les enjeux de planification, il expliquait qu’ayant grandi et vécu toute sa vie à proximité de Gravelines, sa capacité à en apprécier le risque nucléaire était moindre.
L’environnement au cœur des débats
Le séminaire a bien évidemment donné une large place aux risques naturels. La crise environnementale, au cœur des débats, pose de nouvelles problématiques que les agences se doivent d’embrasser le plus largement et précisément possible. Ainsi, lors des séances de travail, la cinquantaine de directeurs présents ont soulevé de nombreux sujets qu’ils avaient identifiés sur leur territoire. La hausse du niveau de la mer, le manque d’eau, l’artificialisation des sols, la pollution ont ainsi été discutés. Ces retours d’expériences seront travaillés pour faire émerger des pistes de travail.
L’étude des quartiers Flaubert et Lucilline a conclu cette séquence. Flaubert, en construction sur la rive gauche de Rouen, à quelques encablures de Lubrizol et à fleur d’une Seine appelée à s’élever, a fourni la matière parfaite pour une étude de cas grandeur nature. Bertrand Masson, directeur de l’aménagement et des Grands projets à la métropole, a détaillé la façon dont ce quartier avait été conçu en fonction de ses risques. « Lubrizol a rebattu les cartes. Dans une certaine mesure, cet accident a été une opportunité pour nous, car il nous a permis de revoir ce projet en concertation avec les habitants », a-t-il expliqué.
La question sociale
Enfin, le risque est également social, rappelait Julien Damon, sociologue et enseignant à Sciences Po, lors de la dernière conférence du séminaire. Invité à prendre la parole, il a présenté un panorama complet de la France sociale et de son organisation, battant en brèche quelques idées reçues.
Ainsi, la France reste un « État-providence dense », porté notamment par la Sécurité sociale, le RSA et le système universel des retraites. Les trois cinquièmes de sa dépense publique sont dédiés à la protection sociale. Cependant, les disparités restent nombreuses. La pauvreté (le seuil est situé à 60 % du revenu médian), si elle est stable depuis 20 ans, touche davantage les jeunes. Elle atteint 20 % chez les moins de 18 ans et les 18-29 ans et descend sous la barre des 8 % à partir de 65 ans.
Mais la pauvreté n’est pas qu’une affaire d’argent. Elle émane aussi d’un sentiment subjectif, ou chacun peut s’estimer pauvre. Elle provient également de la fracture sociale et numérique. Ainsi, Julien Damon montrait que la complexité administrative ne permettait pas un égal accès aux services à tous. Il indiquait d’ailleurs que depuis la fin des années 90, les Français plébiscitent davantage l’amélioration des services et des équipements que les aides pécuniaires.
Pour illustrer le fait que les risques sont présents dans tous les domaines, le séminaire s’est conclu par une découverte de la ville avec l’Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine. La déambulation, burlesque dans sa forme, proposait un sujet de réflexion profond. : « Peut-on encore risquer sa ville ? ». Si la réponse n’a rien d’évident, il est essentiel que les agences d’urbanisme s’emparent de cette question pour pouvoir apporter leur contribution à l’élaboration de la société de demain. Le risque doit être étudié sur toute la largeur de son spectre.